Allez, montre moi tes fesses ! [PV : Hendron]

Kendall & Hendron

✘ début octobre 2016

Cela fait plus d’un mois que je squatte dans la maison de mon frère et je dois dire que ça commence à être un peu long pour tout le monde, pour eux comme pour moi. J’ai l’impression d’être revenue au moment où Jack et moi partagions le même petit studio à Osaka et j’étouffe. Même si j’ai ma propre chambre – que je suis tout de même obligée de partager avec la gamine et le chien – c’est quand même un peu lourd de partager la maison avec mon frère, sa fiancée et ma demi-sœur qui me déteste par-dessus tout. Et pourtant, je fais de gros efforts pour supporter tout ça et pour être le plus sympathique possible, mais c’est dur. Je crois que le plus difficile c’est de rester à ne rien faire mis à part éplucher les annonces immobilières pour tenter, en vain, de me trouver quelque chose où vivre. Mais il est clair qu’avec le peu de ressources que j’ai, j’ai carrément du mal à trouver quelque chose de propre avec deux chambres. Parce qu’il est hors de question que je continue à partager ma chambre avec Kennedy et Jasper, vu que le chien dort toujours au pied du lit de la gamine.

Jack m’a gentiment signalé qu’avec ma part de l’héritage de notre mère, je pourrais peut-être m’acheter un petit quelque chose mais j’avoue que je n’en ai pas très envie. Je ne veux pas voir la couleur de son argent, c’est trop facile ça. Elle n’a jamais rien fait pour nous à part accorder le divorce à notre père en lui signant un chèque exorbitant, c’est facile de mourir et de nous donner de l’argent pour qu’on s’occupe de notre demi-sœur qu’on ne connaissait pas du tout. Ça ne semble pas déranger Jack mais moi, ça m’agace. Alors j’aimerais bien pouvoir me trouver un boulot pépère qui me permettra de gagner de quoi payer un loyer, pour ne pas avoir à toucher à ce fric dont je me contrefous éperdument. Mais il faut bien l’avouer, les boulots ça ne court pas les rues non plus et quand les gens voient que je n’ai ni diplômes, ni expérience quelconque – et qu’en plus j’ai un bébé en bas âge que j’élève seule – ils paniquent. C’est bien plus difficile de trouver un truc décent ici en Australie plutôt qu’au Japon. Osaka me manque à mort en ce moment, encore plus mon ancien boulot qui payait quand même pas mal.

Je n’ai pas revu ce type-là, le mec qui chantait pour ce groupe connu, mais ça ne m’empêche pas d’essayer de traquer des célébrités. Je crois qu’à Brisbane elles ne sont pas très nombreuses, pas autant qu’à Osaka en tout cas, mais j’ai quand même réussi à chopper un truc sur un chanteur de country. Et quand en plus j’ai découvert que le type venait de s’installer dans un quartier résidentiel à côté de Brisbane, j’ai creusé un peu plus et j’ai appris qu’il était à côté de la maison. Et quand je dis à côté, je veux dire littéralement à côté puisque c’est lui le nouveau voisin de Jack.

Alors j’ai attrapé mon appareil photo dans l’un des cartons stockés au garage, j’ai laissé Kennedy à Erica en lui disant que j’allais promener Jasper et j’ai traversé le jardin pour aller me planquer dans la haie, le chien sur mes talons. Ça n’a rien de très discret et on repassera pour la planque, surtout que la tête du chien dépasse un peu de la végétation, mais tant pis parce que j’aurais ma photo de la célébrité dans sa nouvelle maison. Et si en plus il est à poil derrière sa fenêtre, c’est encore mieux. Alors j’attends, tapie, pour faire la meilleure photo possible.

Mais c’est que le coin est sympathique hein ? Il te plait ? Ouais il me plait. Je me plais bien ici, c’est ni trop calme, ni trop bruyant. Et puis tout le quartier, sans exception, a encore cette odeur de neuf. Il me rappelle l’odeur des fauteuils en cuir neuf d’une voiture de luxe. Tu te souviens de l’odeur de la Dodge Charger LX neuve ? C’était le kiffe total, pourquoi elle pue la clope maintenant ? Ah oui. Pour ça. Dès le matin, sérieux ? Allez ciao la clope. Où est ma fucking vapoteuse ? Pour le prix où j’ai payé ça en plus ! On me l’a offerte ? Ah oui. Comme c’est sympa. « Tu verras, ça va t’aider à arrêter de fumer ! » Non pas du tout en fait, ça aide en rien. Je crois qu’en vrai, c’est le geste le plus important. J’ai connu un gars qui avait arrêté de fumer grâce à des sucettes ! Mais là encore, trop de questions : coca ou fraise ? Et pourquoi pas des glaces ? Et pourquoi l’arrosage automatique s’allume ? Oh, c’est nouveau ça.

Waw, t’es sérieux là ? Tu te demandes pourquoi t’as jamais été classé dans le top 50 des hommes les plus sexy, et tu sors en peignoir blanc et lunettes de soleil ? Mais j’aime bien ce look décalé ! Il me fait penser au Dude dans The Big Lebowski ! Non mais, l’arrosage il fait son boulot, c’est toi qui l’a mal réglé. Hm, le gars du technique m’avait montré comment faire… Comme ça ? Oui comme ça. J’ai les pantoufles trempées, j’ai l’impression de marcher dans je sais pas quoi. Y’a plus qu’à espérer que le truc te pète pas à la gueule ! Au moins ça serait une mort rapide. Ça bouge à ma gauche. Qu’est-ce que c’est que ça ? Hé mais je rêve ou quoi ?

« Dites, vous êtes pas en train de faire pisser votre chien chez moi nan ? »

Lequel de ces sauvages de la maison n°10 ose donc pénétrer sur mon domaine avec son clébard ? Je savais bien que j’aurais dû faire remplacer la haie par un mur en béton, avec des fils barbelés sur le dessus et Make Australia Great Again ! Non quand même ! À notre époque ? Des fils électrifiés seraient plus intéressants que les barbelés, mais là encore, ça va coûter bonbon. Attends, là je vois très mal les fils électriques mélangés avec l’arrosage automatique, y’a moyen de faire sauter la baraque. Je viens juste de t’éviter une explosion, remercie-moi plus tard. Ou maintenant. Merci moi.
Non, mais, arrête de croire que je te vois pas, sors de là et on s’explique gentiment.

« Ahem, je sais que vous êtes là, venez donc me voir et puis si vous rentrez votre chien, je vous offre le petit-déj’ et j’appelle pas les flics, deal ? »

Il a intérêt à dire deal ! Mais oui, il faut savoir se montrer courtois avec ses voisins. Je suis venu là pour une vie tranquille, je préfère, si c’est possible, ne pas commencer toute de suite une guerre entre voisins et … Ah ? Elle. Bon, elle a intérêt à dire deal. Ou alors elle dit ce qu’elle veut qui montre qu’elle est pleine de bonnes intentions hm ? Ah, mais c’est la blonde… Qui s’appelle… J’ai oublié. T’as oublié ? Normalement, t’oublies pas les jolis petits lots comme ça. Hé ça va, y’a pas que ça dans la vie. Bon, déjà elle se ramène, elle aurait pu m’ignorer. Souris ! C’est le début d’une longue amitié avec ta voisine blonde sexy ! Le rêve non ? Mais ferme ta gueule. Pourquoi elle a l’air gênée comme ça ? Peut-être parce que tu viens de la menacer d’appeler les flics ? Possible. Elle a quoi dans les mains ? Oh oh… Oh non. Oh non ! Oh non ! Ça c’est très, très mauvais ! Tu veux dire que… Elle prend des photos de son chien qui pisse ? La dégueulasse ! Mais non abruti, les photos c’est pour nous ! Super, on m’a retrouvé, ça aura pas duré longtemps, quelques semaines tout au plus. Pense aux murs en béton ! Tout autour de la maison ! Vitres teintées ! Porte blindée !

« C’est un canon ou un nikon que vous avez ? »

Alors c’est très bien pour commencer une conversation mais c’est quand même très con. Mais au moins, elle dira peut-être ce qu’elle fout avec un appareil photo autour du cou, dans la haie, avec son chien… Ça fait beaucoup d’éléments bizarres d’un coup, ne serait-elle pas complètement barjot ?

Ça me rappelle quelques souvenirs de me retrouver dans cette position, tapie derrière une haie pour tenter de faire la meilleure photo d’une célébrité en vogue. Je me souviens m’être souvent planquée derrière des échoppes ou des panneaux publicitaires, à jouer les touristes dans les rues d’Osaka pour ne pas me faire remarquer par les idoles japonaises. Mais là c’est tout de même bien différent parce qu’on se trouve dans un quartier résidentiel et que c’est beaucoup moins discret. Je suis sûre qu’il y a déjà un voisin tapi derrière sa fenêtre en train de se demander ce que je glande dans la haie qui sépare la maison de mon frère de celle du nouvel arrivant dans la rue, mais je m’en fous un peu de ce que peuvent penser les autres. Je suis là, tranquille, je ne fais de mal à personne et j’attends sagement de pouvoir faire LA photo de la semaine pour pouvoir en tirer quelque chose. Jasper est sage aussi, il attend tranquillement à l’ombre que j’ai fini ce que j’ai à faire, sans rien dire pour une fois.

Mais quand l’arrosage automatique se met en route, ça le fait flipper à mort et ce gros naze de golden retriever se jette sur moi en chouinant, me faisant tomber le cul dans l’herbe. Je me prends de l’eau et je me retourne en gueulant un peu, si mon appareil prend la flotte à cause de cet allumage automatique à deux balles, je tape un scandale chez le voisin. Mais tandis que je baisse les yeux pour vérifier que mon appareil n’a rien, une voix me faire sursauter. « Mais putain vous êtes un grand malade ! » Je crois que mon petit cœur a essayé de sortir de ma poitrine. « Ca va pas de faire peur aux gens comme ça ? » Bon, j’avoue qu’il n’est sans doute pas arrivé en mode ninja non plus mais j’étais préoccupée par mon appareil photo et je n’ai rien entendu. Et ce naze de chien non plus apparemment. C’est une fois qu’il voit le voisin qu’il aboie. « Tais-toi Jasper ! » Je lève un peu les yeux au ciel avant de poser le regard sur ce type, sorti de chez lui en peignoir blanc. « Techniquement, je suis encore de mon côté de la haie et donc encore chez moi. » Bon, pas chez moi réellement mais si je commence à expliquer ma vie au type d’à-côté, ce n’est pas un petit déjeuner qu’il devra m’offrir mais carrément le gîte et le couvert. Je me relève et tente de garder la face. « Et vous leur diriez quoi, aux flics ? Que je promenais mon chien à côté de la haie et que c’est un grave délit dans ce quartier ? » Je ne peux m’empêcher de rigoler doucement. Il est mal barré s’il veut garder une vie privée et un peu d’intimité dans un quartier comme celui-ci. Les gens promènent leurs animaux et laissent souvent trainer un œil ou deux – parfois même les oreilles – et tout se sait très vite. Je ne sais pas pourquoi il a emménagé par ici, mais ce n’est sans doute pas la meilleure solution pour être tranquille quand on est une célébrité. « Mais va pour le petit-dej’. » Pourquoi pas, après tout ? Ça pourrait me permettre d’en apprendre plus sur lui et pourquoi pas de faire une bonne photo. D’ailleurs de toute façon, il a vu l’appareil donc je vais avoir du mal à le cacher. « Canon. EOS 7D. Un peu vieux mais toujours correct pour de bonnes photos. » C’est vrai que ça fait un petit moment que je l’ai mais je l’aime bien. En plus il m’a littéralement coûté un bras, sans compter les accessoires, alors j’y suis plutôt attachée. « Vous êtes connaisseur ? »

Elle sort ? Oui elle sort, déjà un bon point pour elle. Elle est franchement canon, deux bons points pour elle. Non allez ça compte pas dans le barème final ça. Alors à ce qui parait, je suis un grand malade. Preuve qu’elle ne me connait pas bien puisqu’elle vient seulement de le découvrir. Mais… Quel tempérament de feu ! Ça te rappelle pas quelqu’un ? Si si, mais ta gueule. Mais cette réaction... J’ai pas été assez impressionnant peut-être. Ça doit être à cause de ma tenue ? En temps normal, des menaces pareilles, les gens s’en vont en courant ! Mais la voisine, ça a pas l’air d’être n’importe qui. Elle est maligne, je lui accorde un autre bon point. Techniquement, elle est encore de son côté… Mais juridiquement ? Oh tu te souviens cet avocat d’enfer que tu t’étais trouvé ! Dommage qu’il soit mort, il aurait été intéressant d’avoir son avis sur ce sujet. Mon côté de la haie s’arrête là où celui des voisins commence. Ça c’est marrant.  Par contre, elle a l’air quand même l’air de faire n’importe quoi avec cet appareil photo. Jouons le jeu, pour le moment.

« Oh, pas la peine de s’emporter comme ça ma petite dame, c’était surtout pour vous faire… réagir, oui voilà c’est le bon mot, » dis-je les mains sur les hanches, le peignoir qui flotte au gré de la brise matinale en espérant qu’il ne dévoile pas mon caleçon pas erreur.  J’en porte un au moins là ? J’ai oublié.

Ah, elle est d’accord pour le petit-déj. Le contraire m’aurait étonné, ça se refuse pas de la bouffe gratuite. Je l’invite à s’assoir sur un siège en fer encore un peu mouillé à cause de l’arrosage automatique et je fais vite pour ramener du pain, un fond de confiture et le café, très important le café. Quand je reviens, elle tripatouille le EOS 7D comme elle m’a dit. Je lui dis tout de suite que j’ai compris ce dont elle avait l’intention de faire ? Roh, après avoir mangé peut-être. Bon, elle prend des photos de célébrités, certes mais pourquoi ? Ou pour qui ? C’est juste son passe-temps ? Peu probable. Elle aurait voulu une photo avec moi, elle aurait demandé un selfie. Et puis d’abord, ai-je vraiment compris ses intentions ? Autant, elle voulait juste prendre des photos de la nature… De… Euh, des buissons. Pourquoi faire ?

« Connaisseur… Pas tellement, quand on est aveuglé par les flashs, pas le temps d’identifier ces truc. Les seuls que j’ai vu de près, c’est ceux que j’ai pris aux mains des journalistes et que j’ai fracassé contre le sol. »

J’installe un peu de tension, toujours pour la faire réagir. Bon admettons : ma voisine est une paparazzi. Je lui propose une sorte de contrat, une photo à un rythme régulier, je pose mon véto dessus… Et puis elle me fout la paix. Ou alors une nuit de sexe contre dix photos d’un coup. J’ai vraiment pensé ça ? Non, c’est faux, c’est ton imagination. BREF : il y aura surement moyen d’arriver à un accord pour qu’elle me pourrisse pas la vie et qu’elle puisse faire, je sais pas, vivre ? S’il s’agit de son travail, ça fait du sens.

« Si vous me permettez… »

Je lui sers une tasse de café et lui prépare une tartine dont moi seul est le secret. Tout est dans la technique au couteau. Je lève mes lunettes et les pose sur ma tête, dévoilant des cernes bien dégueulasses.  Et… Maintenant faut faire la conversation. Allez un sujet au hasard. Le sexe. NON ABRUTI.

« Hm, samedi dernier ça a fait du bruit chez vous… Une fête ou quelque chose comme ça ? »